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mercredi 4 mai 2022

mitzpah : hervé zénouda et grégory davidow, plus qu’un disque, une œuvre artistique
Par Franco Onweb

Ce qui va suivre est plus qu’un simple disque, c’est le témoignage d’une époque et d’une amitié. Celle qui unit depuis plus de quarante ans Hervé Zénouda et Gregory Davidow ! Le premier fut le batteur des mythiques Stinky Toys et par la suite il installa son kit de batterie derrière pleins de groupes et artistes. Il fut l’un des musiciens les plus reconnus, et des plus importants, de la scène des jeunes gens modernes avant de s’aventurer dans les musiques expérimentales. Le deuxième, Gregory Davidow, fut un des premiers punk du bloc de l’Est. Refugié à Paris au début des années 80, il s’immerge dans la scène parisienne avec son groupe Spions auquel participe Hervé. Ce fut le point de départ de cette aventure musicale et culturelle.
Les deux s’étaient promis de continuer cette aventure, malgré le fait que Grégory avait déménagé au Canada. Il aura donc fallu quarante ans pour que les chansons d’Hervé et Gregory voient enfin le jour. Attention il ne s’agit pas ici d’un projet avorté d’une époque lointaine mais au contraire un disque moderne et plein de talents, celui de deux artistes complets. Pour ce faire les deux compères ont bénéficié de l’aide musicale de Yann Le Ker, l’ex Modern Guy et compagnon de route depuis fort longtemps qui a mis tout son talent pour la réalisation de ce disque, du merveilleux label Pop Supérette de Toulouse qui a accompagné ce disque, de agnès b. pour son soutien et de Loulou Picasso qui a réalisé, avec son talent habituel, le graphisme de ce projet hors du commun. Depuis quelques années, je suis en contact avec Hervé Zénouda et il m’avait promis de me raconter l’histoire de Mitzpah. On s’est donc parlé un mercredi matin printanier. Grégory étant toujours au Canada, il a répondu à quelques questions à la fin de cette interview par écrit. Voici donc l’histoire d’une œuvre qui aura mis quarante ans à pouvoir être offerte au public ! 

img-db82e90302bb54d9c37da788cac048ab.pngLoulou Picasso

On parle de la genèse de ce disque ? Il est né comment ?H.Z. : De ma rencontre avec Grégory, qui était réfugié politique en France. Il travaillait ponctuellement dans une société de communication en bas de mon appartement et il m’entendait jouer de la batterie toute la journée. Il est monté me voir pour me proposer de jouer dans son groupe Spions. Après un premier 45 tours très punk chez Barclay (“Russian Way Of Life“/”Total Czecho-Slovakia” (Egg, 1979)), il a fait un album avec le groupe Artefact (groupe parisien, NdlR) chez Dorian Record, dans lequel j’ai joué de la batterie. J’avais aussi un projet de disque personnel sur des paroles de Loulou Picasso et d’Olivia Clavel (membre du collectif artistique Bazooka, NdlR). Dans ce projet, je voulais un chanteur différent pour chaque morceau. J’avais donc proposé à Grégory de chanter sur un titre. Mais c’est à l’été 1981 que l’on a commencé à travailler sur les chansons qui sont devenues le disque de Mitzpah plus de quarante ans plus tard…HZ_03.jpg(Hervé Zénouda au début des années 80 – Droits réservés)

Vous vous êtes donc souvent croisés ?
H.Z. : En quelques années, on a eu trois ou quatre projets communs… J’ai été très impressionné par Grégory, son parcours, son apport sur mon travail …. C’était un regard très différent de ce que je connaissais du rock parisien. Il était l’héritier d’une autre culture, d’une autre tradition… Il m’a vraiment ouvert sur l’art contemporain, la performance. Il était un représentant de l’intelligentsia, de l’avant-garde artistique d’Europe centrale et cela a été vraiment important pour moi.

Hervé, tu as été le batteur de la scène parisienne de la fin des années 70 et début 80 ?
H.Z. : Oui, j’ai fait partie de la génération pré-punk. On a commencé assez tôt, on était très jeune. C’est parti du lycée Charlemagne dans le Marais à Paris, qui était, à l’époque, un quartier populaire. Il y avait dans ce lycée, Pierre Goddard (1984, Suicide Roméo Ndlr), les frères Boulanger (Métal Urbain Ndlr), Denis futur Jacno, et moi, avec Elli pas loin dans le lycée de filles du quartier. Je ne sais pas pourquoi, tout s’est passé autour de ce lycée. On a commencé vers 1974, 1975 et émergé avec la première vague punk. On a joué au « Colloque de Tanger » à Genève avec Patrick Eudeline autour de William Burroughs en 1975 avec Pierre Goddard et les frères Boulanger. Après on a fait Loose Heart toujours avec Pierre et aussi Pascal Régoli d’Angel Face à la basse. Groupe dans lequel j’étais vraiment investi. Quand le groupe s’est séparé, j’ai rejoint les Stinky Toys au départ par amitié. On avançait dans le même temps que le mouvement punk, on n’était pas des suiveurs, on était dans le même temps que Clash et les Sex Pistols.

Vous avez commencé à travailler ensemble, avec Gregory, vers 1981 ?
H.Z. : En 1981 c’est le projet Mitzpah qui prend forme mais pas sous ce nom. J’avais participé au disque « the Party » en 1979. Pendant deux ans, on s’est tourné autour sans que rien ne prenne forme. « The Party », avec Artefact, c’est un très bon disque dont je suis fier.  Avec le deuxième album des Stinky Toys, le 45t des Guilty Razors, l’album de GYP et celui de Mathématiques Modernes, ce sont les disques dont je suis le plus fier, à la fois pour mon apport à la batterie mais aussi évidemment pour ces musiques que je trouve remarquables.

(Grégory Davidow à Paris, début des années 80 – Droits réservés)

Le disque de Mitzpah est un disque de son époque : c’est la rencontre d’un artiste et d’un musicien.
H.Z. : Oui mais c’est aussi un croisement Est – Ouest vraiment intéressant. Gregory a un côté conceptuel passionnant. Il est dans les jeux de symboles qui peuvent paraître parfois austères et abstraits. Il a aussi un aspect politique avec lequel il travaille. Les punks jouaient avec les symboles politiques, parfois nazis, et il a été mal perçu parce qu’il a aussi joué avec ça : la faucille et le marteau, la croix gammée, l’étoile juive… Moi, je suis plus dans l’émotionnel. Pour moi, mon apport dans le projet Spions était d’amener quelque chose de plus humain et de moins idéologique. C’était un croisement entre l’Europe Centrale et la New Wave. Cela aurait pu fonctionner, il chantait en anglais avec des paroles vraiment brillantes et une vraie vision.

En 1982, Hervé, tu pars à New York alors que Gregory part au Canada. Vous étiez loin l’un de l’autre ?
H.Z. : Cela n’a effectivement pas arrangé les choses. Ce projet a changé mon parcours. Quand Grégory a quitté la Hongrie, il devait juste s’arrêter à Paris pour Londres mais il a perdu son passeport, eu quelques problèmes administratifs et est resté en France. Au bout de quelques années, il a pu émigrer. On devait se retrouver à New York mais là encore, il a été bloqué à Toronto et on n’a jamais pu finir le disque. De mon côté, j’étais en phase avec la première génération des punks new yorkais et j’ai eu du mal avec la pop française du début des années 80. Je n’arrivais pas à me projeter. J’étais très rock avec quelques influences de jazz et de musiques expérimentales et je ne me voyais pas comme musicien de studio pour la variété française. Je voulais jouer ma musique. Le projet avec Grégory avait une vision mais à Paris je n’y arrivais pas. En tant que batteur sur des disques qui avaient eu du succès, j’avais des rendez-vous avec des maisons de disques importantes mais ils pensaient que j’amènerais un sous « Amoureux solitaires » alors que j’arrivais avec quelque chose qui n’avait rien à voir et qui n’était pas très français… Même si avec le temps je me rends bien compte que ce n’est évidemment pas donné à tout le monde d’avoir la légèreté de la pop… (rires)

Vous aviez fait des maquettes à Paris ?
H.Z. : Oui, une au studio de maquettes de Polydor derrière la place Clichy où on avait enregistré là-bas avec les Guilty Razors, et aussi fait des maquettes du second album avec les Stinky Toys (maquettes qui devraient faire l’objet d’une sortie en 45t trois titres chez Pop Supérette prochainement). Polydor m’a fait faire deux morceaux avec Yann Le Ker à la guitare, Jean François Coen à la basse et Fred Versailles aux claviers. Les bandes ont été refusées. Dorian, le label, m’a aussi fait faire un morceau dans un autre studio mais rien n’a abouti !

« In Andy Warhol Factory (eight days a week) » (Mitzpah 1981, 2022)

Tu pars à New York, où tu trouves ton son. Quand tu arrives là-bas, ta musique va changer. Tu t’es senti à l’aise dans cette ville, parce que selon moi il y a trois artistes auxquels on peut ramener ce disque : Tom Waits, Leonard Cohen et Tom Verlaine à qui le disque est dédié.
H.Z. : Ma musique a changé à New York mais sur d’autres aspects. J’ai toujours été plus sensible à la musique américaine qu’à la musique anglaise même si j’ai beaucoup aimé Subway Sect ou les Sex Pistols. Très tôt j’ai découvert, grâce aux enregistrements cassettes des concerts que ramenait Michel Esteban (du magasin Harry Cover et créateur du label ZE Records) de ses séjours New-Yorkais, les Talking Heads ou Télévision que j’aimais beaucoup. J’adorais aussi le Velvet Underground, les Stooges et les Modern Lovers. Cette influence américaine a donc toujours été présente pour moi. Mon choc esthétique, quand j’étais à New-York, c’est plutôt avec Glenn Branca et son orchestre de guitares électriques que je l’ai eu, la naissance du Art-rock… Pour Leonard Cohen et Tom Waits, cette proximité n’était pas présente à l’époque et est apparue surtout à cause de la voix actuelle de Gregory qui est devenue plus grave, plus profonde et éraillée. C’est aussi le côté littéraire de ses paroles qui pourrait renforcer cette proximité. Quant à Tom Verlaine, il a toujours été une influence très forte pour moi et je le réécoute beaucoup depuis quelques années.

Mais on pouvait s’attendre à un disque de « jeunes gens modernes », un truc un peu post-punk, new-wave. Là, il y a du rock, du blues, de la pop, du jazz. C’est un disque profond, loin de ce que peut être la pop.
H.Z. : Cela a été mon problème ! Après le punk et la new-wave j’ai eu beaucoup de mal à trouver ma place dans la pop, new-wave variété française avec ce côté néo-yéyé. Je voulais vivre le présent et non un fantasme des années soixante vécu dix ans plus tard. Le projet avec Gregory était tout sauf ça ! Et c’est dans cette même optique que j’ai abordé la conception de ce disque. Le disque est une volonté de recréer quelque chose de neuf à partir d’une expérience passée en évitant toute nostalgie. Je voulais faire ces morceaux d’il y a quarante ans mais avec ce que je suis aujourd’hui. Je voulais m’amuser, faire revivre ce projet, faire d’un échec une force, profiter de ce que ce disque n’ait pas été réalisé à l’époque pour en faire une nouvelle création. Bref, l’opposé d’une réédition ou d’un simple témoignage historique. Il reste des racines mais en quarante ans, j’ai voyagé sur d’autres terres que la new-wave des années 80.